"Seuls les psychologues inventent des mots pour des choses qui n'existent pas "
Carl Gustav Jung
Hyper... sensible, hyper... émotif, hyper... actif...
Hyper : préfixe redoutable qui prétend situer, voire définir les personnes, et qui ne fait que les effrayer et les culpabiliser si elles viennent à s'en trouver affublées.
Hyper, tout comme son antagoniste Hypo, laisse entendre qu'il existe une moyenne acceptable et acceptée comme norme, un degré, une mesure qui détermine - arbitrairement - si l'émotion est ressentie avec une intensité... normale. Au-delà et en-deçà de cette magnitude le ressenti serait donc... anormal ? Il y a peu pour qu'une personne qui serait qualifiée, par exemple, d'hypersensible, s'en croie anormale et voie alors fondre sur elle les affres de l'inquiétude, de la déprime, de la culpabilité, des interrogations envahissantes et dévorantes et autres réjouissants tumultes de l'esprit et turbulences émotionnelles. Par ailleurs, qui peut prétendre mesurer, quantifier, le ressenti d'une émotion... ?
Difficile de vivre confortablement avec l'idée qu'Hyper nous colle à la peau, n'est-ce pas ? Car même si la personne ne peut en aucun cas être définie par ce qu'elle ressent, se trouver qualifié d'hyper-quelque-chose peut, comme nous venons de le voir, rapidement affecter l'identité : "Vous ETES hypersensible". La sentence est tombée. Une personne hypersensible devient une personne anormale. Une triste généralisation bien courante.
Triste car non sans conséquences. Une fois cette idée saugrenue d'anormalité ancrée, les comportements vont s'en trouver changés, parasités, et se voir inadaptés ou supprimés (immobilisme, procrastination, etc.). Car cette idée, cette pensée, cette croyance désagréable va générer, nous l'avons vu, des émotions elles-mêmes pas très plaisantes qui vont influencer le comportement.
Hyper... Un préfixe, donc, lâché impunément dans un livre, un article, sorti maladroitement d'une bouche pourtant pleine de bonnes intentions, qui affecte le comportement qui, lui, va ensuite - un comble ! - renforcer cette croyance. Nous voilà dans un cercle vicieux dont il va être difficile de sortir...
Je m'insurge contre la tyrannie de la norme, et j'accuse Hyper - ainsi que son opposé Hypo - d'enfermer tout un chacun dans une attitude toxique pour lui-même.
Je clame que nous sommes tous normaux tant en ce qui concerne le ressenti de nos émotions que, bien sûr, notre identité !
A chaque moment, nous sommes - nous, nos pensées, nos croyances, nos émotions... et tout ce qui fait notre être - une construction, un emboîtement de pièces qui s'articulent ingénieusement les unes avec les autres telle une merveilleuse mécanique, des pièces qui proviennent de la culture dans laquelle on est né et celle dans laquelle on grandit et vieillit, de l'éducation reçue, de chaque expérience vécue jusque-là... Bref, nous sommes, à chaque moment, un chef-d'oeuvre. Et il est NORMAL d'éprouver telle ou telle émotion fortement ou pas* puisque cela découle naturellement... de la vie. Tout simplement.
Il pourra parfois nous sembler ressentir plus ou moins fortement une émotion qu'à un autre moment. Mais cela reste une comparaison entre soi ici et maintenant et soi hier ou autrefois. Un soi qui change naturellement au gré des événements de sa vie. Son ressenti - agréable ou désagréable, fort ou faible - reste donc... normal.
Il est bon, d'ailleurs, de remarquer, de prendre conscience de ces différences. Je parle ici de conscience émotionnelle - ou, pour certains, d'intelligence émotionnelle. De là, il est bon de repérer ce qui a conduit à cette émotion, à ce ressenti, pour se connaître et se prévoir. Je parle ici d'agilité émotionnelle qui peut d'ailleurs souvent être une petite pierre dans un éventuel engrenage vicieux (situations inextricables, répétitions de schémas, comportements inadaptés, etc.).
En conclusion, je conseillerais donc aux personnes qui seraient confrontées à cette dictature de la normalité de cesser de chercher des réponses en dehors d'elles-mêmes. Observez-vous, écoutez-vous, acceptez vos émotions telles qu'elles arrivent et amusez-vous à créer des liens entre leur apparition, leur intensité, et les situations que vous vivez. Amusez-vous également à mettre à jour les pensées qui auraient pu se cacher entre ces situations et vos émotions.
Amusez-vous à vous apprendre, et vous trouverez, en vous, les clefs du bien-être.
*Je laisse à chacun sa façon de déterminer ce qu'est un ressenti fort, faible ou modéré de son émotion loin du diktat d'Hyper, Hypo et leur sacro-sainte norme.
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