Je quitte Facebook.
Photographiée et filmée dès que j’apparais sur scène, déclame ou chante quelques mots ou joue quelques notes de musique, mon image se retrouve très vite sur le réseau – pas si – social accompagnée de son inséparable identification sans que mon consentement ne soit donné à une étape ou l’autre du processus.
Malgré un paramétrage strict, l’indiscrétion agit, et aussitôt voilà mes mots, mes chants et mes notes accessibles à beaucoup, personnes connues et inconnues qui likent, dislikent ou commentent sans y être invitées.
Mon image m’échappe. Elle m’est volée. Et avec elle un instant, un souvenir que je ne souhaitais partager qu’avec les personnes présentes à ce moment-là. L’instant présent est spolié et mon intimité violée.
Alors je quitte le réseau indiscret. Je me soustrais à cet univers où le consentement est bafoué, l’intimité méprisée, le partage perverti et l’instant présent sacrifié.
Je reconquiers mon image et les instants. Je remets du sacré dans les moments qui n’appartiennent qu’à nous et, par-là, vous honore. J’évolue dans le vivant du présent, dans la beauté et l’authenticité de la rencontre et dans la quiétude de l’anonymat.
Je respire.
Les réseaux sociaux ont profondément modifié nos rapports les uns aux autres mais aussi nos valeurs et, conséquemment, nos comportements. L’évolution fut progressive et discrète mais elle reste pour moi indéniable et inquiétante.
Voyons ensemble les questions que soulève ce ressenti…
1. Le CONCEPT de CONSENTEMENT
Remarquez-vous que beaucoup de personnes, aujourd’hui, photographient et filment systématiquement tout ce qui les environne : des musiciens qui jouent au bord d’un lac, deux hommes qui se disputent dans la rue, un spectacle « vivant » de danse ou de théâtre auquel elles assistent… Elles dégainent leur téléphone à une vitesse qui rendrait Lucky Lucke lui-même fou de jalousie !
Peut-être avez-vous vous-même développé cette habitude… ? Dans ce cas, avez-vous déjà entendu parler de droit à l’image, ce droit de chacun de disposer de son image ? Comment pourrait-il en disposer s’il est photographié ou filmé à son insu, sans son consentement ?
Les réseaux sociaux et leurs incitations au « partage » ont tué en chacun le respect de l’autre qui devrait le pousser à demander son accord avant de le photographier ou le filmer et à disposer de son droit à l’image.
Cette habitude – irrespectueuse – est une véritable intrusion que certains vivent, à juste titre, comme un vol de soi, et ce, dans l’indifférence générale. Inquiétant, vous dis-je.
Mais le mépris de l’autre va plus loin encore lorsqu’il se retrouve, une fois encore malgré lui, sur le réseau « social » - sur un profil, un groupe, un événement – à la vue de tous et à la merci de commentaires* qu’il n’a pas demandés !
*Notez que le terme commentaires ne désigne rien d’autre qu’un jugement – bon ou mauvais – d’une personne cachée par son écran et dont la promptitude à juger l’autre n’a souvent d’égal que sa couardise.
Inquiétant et violent, ajouterais-je.
2. Le CONCEPT de PARTAGE
Le partage est le mot d’ordre des réseaux sociaux et les exhortations au « partage » sont nombreuses : partagez vos photos de vacances ! partagez votre humeur ! partagez vos moindres faits et gestes ! partagez votre situation amoureuse ! partagez votre repas ! partagez ! partagez !
La notion de partage s’en trouve pervertie et désacralisée. Un moment privilégié n’est-il pas, en effet, plus sacré lorsqu’il est partagé avec quelques amis que lorsqu’il est étalé sur tout le réseau social ?
Lorsque vous partagez un moment de vie sur les réseaux sociaux, vous l’arrachez aux personnes avec qui vous le vivez et qui leur appartient et le jetez en pâture aux voyeurs virtuels qui s’égarent dans un fil d’actualité toujours trop long. Ne souhaitez-vous pas vous accorder, à vous et à vos – vrais – amis un moment d’intimité et d’authenticité ?
Pour vivre heureux vivons cachés, dit-on. Essayez.
3. Le CONCEPT d’INSTANT PRESENT
L’instant présent se trouve également perverti par les réseaux sociaux et leurs pesantes incitations au partage. L’instant présent est vivant, organique. Il est palpable par nos sens et fait naître en nous des émotions. Alors, caché derrière votre téléphone brandi comme un bouclier entre vous et l’instant présent, vous vous fermez à l’émoi et mourez… vivant.
Quant à cet instant, le capturer avec votre téléphone et l’enfermer sur un écran lui retire sa saveur, sa chaleur, son authenticité et le tue à son tour. Il perd, en conséquence, tout ce qui aurait pu vous faire vibrer mais que vous n’aurez jamais connu.
Inquiétant, violent et triste.
Inquiétant, violent et triste. Trois mots pour évoquer un monde auquel je me soustrais. Je pars vers l’authentique, l’organique, le vibrant et le sacré. Vous venez ?
Patricia
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